Art review - Rainer Gross, happy pictorial twins Thursday 8 June 2023, by Jean-Claude LE GOUIC

Rainer Gross, happy pictorial twins

Thursday 8 June 2023, by Jean-Claude LE GOUIC

Galerie Richard presents paintings by Rainer Gross under the title Double Takes until June 17, 2023. Born in Cologne in 1951, Rainer Gross lives and works both in his native city and in New York. The Paris gallery features abstract canvases, almost all presented as diptychs. The visitor is immediately intrigued by the strong kinship between the associated canvases, before grasping the characteristic system of his creations. This is achieved by pressing two canvases of the same size face-to-face, onto which various colored shapes have been painted beforehand.

Closer examination reveals another singularity: the inversion of one of the two canvases. Presenting an almost identical painting on the right and left could be quite banal, but this is not the case. The two juxtaposed canvases make us believe in their resemblance, but they are false twins whose progressively noticed differences hold our gaze. In this ensemble, the two parts of the new image support each other.

The creative process is well known: it's called monotype. Traces of ink or paint are transferred entirely from a smooth material (glass or metal) to a more absorbent support such as paper. In Rainer Gross's case, however, the generosity of the pictorial deposit on his canvases enables him to press two works equally charged with pictorial matter. His vast experience as a painter enables him to find the right consistency in the medium to obtain plastically successful effects from successive monotypes. The artist adapts to the first effects observed on color and matter. He pursues the figures and color effects obtained blindly.

The development of a dynamic of colors and materials can lead him either to a kind of all- over as in Hellman Twins, 2016, or to an organization in the shallow space of the paintings of a few colored figures (Köln Twins I Schanzen Twins, 2022). These abstractly produced forms are nonetheless in tune with the forces of nature. The sonorities specific to each color combine to create a different kind of light that seems to emanate from the pictorial materials.

Shapes, materials and colors are organized in such a way that these pictorial works are an invitation to the viewer to let his or her eye penetrate the particular spaces of the painting. This is encouraged by the repeated arrangement of two related canvases, one of which has been cleverly inverted to form a single work. To do so, we need to stop our wandering in order to examine kinships and differences. Exploring the backgrounds of these twin paintings takes time.

It could even be said that they encourage us to examine them several times over, without ever hoping to have seen everything. In Galerie Richard's exhibition, the benefits of the paired canvases can be clearly seen, even though not all the works are double: you have to change your gaze in front of the artist's solitary creations (singles), which also hang on certain walls. In monochrome canvases such as Sansur, 1999, or the two-tone Domin revisited, 1999-2017, the subtleties are also present, but not as richly as in the twin canvases.

In these creations, Rainer Gross repeats from work to work the singular creative process he has developed. It is important to note that in this way, he absents himself from his creation in a way: he leaves no traces of personal gestures such as touches, which could indicate the artist's emotional state. The absence of the author's expressive gestures does not prevent the development of visual and tactile experiences, but above all places these productions in a contemporary context, in what critics have termed "the new abstraction".

The viewer hesitates in interpreting the colored shapes: are they produced by brush or by imprint? In fact, the two processes often coexist. A particular singularity is achieved when the artist plays with the effects of refusal between water-based pigments, such as acrylic, and those made from oil. The spatiality of works such as Romar Twins XI, 2022, is all the more astonishing.

In the creative phase, the artist skilfully plays with random effects. His long-acquired skill enables him to play with appearances and disappearances. He doesn't hesitate to intervene again in the final phase to modify shapes and figures that seem to him to have moved too far forward in the tactile space of the painting (Koopmann Twins, 2022). It's easy to see why he's so satisfied with the creative process he's developed, since it allows him to remain in control of the game right to the end.

In this exhibition, Rainer Gross shows the full extent of his mastery of painting, all his skill in bringing out unexpected nuances from the background. We are delighted to visit the exhibition of this artist who possesses both a fine craft as a painter and an ability to pursue an original plastic idea which he leads to induce in visitors a strong conceptual reflection.

 

Rainer Gross, heureuses gémellités picturales

▪ jeudi 8 juin 2023, par Jean-Claude LE GOUIC

La galerie Richard présente jusqu’au 17 juin 2023 sous le titre Double Takes les toiles de Rainer Gross. Ce peintre est né à Cologne en 1951 ; il vit et travaille aussi bien dans sa ville natale qu’à New York. Dans la galerie parisienne sont exposées des toiles abstraites presque toutes présentées en diptyque. Le visiteur est immédiatement intrigué par la forte parenté des toiles associées avant de saisir le système caractéristique de ses créations. Leur gémellité qui est obtenue par pressage face-à-face de deux toiles de même taille sur lesquels diverses formes colorées peintes ont été préalablement réalisées.

Un examen plus poussé conduit à découvrir une autre singularité : le renversement de l’une des deux toiles. Présenter un presque même à droite et à gauche pourrait être assez banal mais on constate qu’il n’en est rien. Les deux toiles juxtaposées font croire à leur ressemblance mais ce sont des fausses jumelles dont les différences progressivement constatées retiennent notre regard. Dans cet ensemble les deux parties de la nouvelle image se soutiennent mutuellement.

Le procédé de création est connu : c’est celui du monotype. On transfère entièrement des traces d’encre ou de peinture d’un matériau lisse (verre ou métal) vers un support plus absorbant comme le papier. Mais chez Rainer Gross la générosité du dépôt pictural sur ses toiles permet par pressage de générer deux œuvres également chargées de matière picturale. Sa grande expérience de peintre lui permet de trouver la bonne consistance du médium pour obtenir des effets plastiquement réussis à partir de monotypes successifs. L’artiste s’adapte aux premiers effets constatés sur la couleur et la matière. Il poursuit les figures et les effets de couleurs obtenus à l’aveugle. La mise en place d’une dynamique des couleurs et des matières peut le conduire soit vers une sorte de all-over comme dans Hellman Twins, 2016, soit vers une organisation dans l’espace de faible profondeur des tableaux de quelques figures colorées (Köln Twins I Schanzen Twins, 2022). Les formes produites abstraitement n’en sont pas moins en accord avec les forces de la nature. Les sonorités propres à chaque couleur s‘accordent pour faire qu’une lumière chaque fois différente semble émanée des matières picturales.

Les formes, matières, couleurs sont organisées de manière à ce que ces œuvres picturales soient une invitation pour le regardeur à laisser son œil pénétrer dans les espaces particuliers de la peinture. La disposition répétée de deux toiles parentes, dont astucieusement l’une a été inversée, pour constituer une seule œuvre nous y incite. Il faut

pour cela arrêter la déambulation afin d’examiner parentés et différences. L’exploration des fonds de ces peintures jumelles demande de prendre son temps. On peut même dire qu’elles poussent à reprendre plusieurs fois l’examen sans que l’on puisse jamais espérer avoir tout vu. Dans l’exposition de la galerie Richard on mesure bien les apports de ce dispositif des toiles jumelées puisse que toutes les œuvres sont pas doubles : il faut changer de regard devant les créations solitaires (singles) de l’artiste également accrochées sur certains murs. Dans les toiles monochromes comme Sansur, 1999 ou bicolores, Domin revisited, 1999-2017, les subtilités existent aussi mais moins riches que dans les toiles jumelles.

Dans ces créations Rainer Gross répète d’œuvre en œuvre le procédé créatif singulier qu’il a mis au point. Il est important de noter qu’ainsi il s’absente en quelque sorte de sa création : il ne laisse pas de traces de gestes personnels comme les touches, qui pourraient indiquer l’état émotionnel de l’artiste. L’absence des gestes d’expression de l’auteur n’empêche pas le développement d’expériences visuelles et tactiles mais surtout inscrit ces productions dans une contemporanéité, dans ce que les critiques ont nommée « la nouvelle abstraction ».

Le regardeur hésite dans l’interprétation des formes colorées ; celles-ci sont-elles produites au pinceau ou par empreinte ? En fait les deux procédés souvent coexistent. Une singularité particulière est obtenue lorsque l’artiste joue des effets de refus entre les pigments à base d’eau, comme l’acrylique, et ceux élaborés à base de l’huile. La spatialité des œuvres comme dans Romar Twins XI, 2022, n’en est que plus étonnante.

L’artiste, dans sa phase de création, joue habilement des effets produits aléatoirement. Son métier, acquis depuis longtemps, lui permet de jouer des apparitions et disparitions. Il n’hésite pas à ré intervenir dans la phase finale pour modifier les formes et les figures qui lui paraissent venir trop en avant dans l’espace tactile du tableau (Koopmann Twins, 2022). On comprend que le procédé de création qu’il a mis au point le satisfasse puisqu’il lui permet de rester jusqu’au bout maître du jeu.

Dans cette exposition Rainer Gross montre l’étendue de sa maîtrise de la peinture, tout son savoir-faire pour faire émerger des nuances inattendues du fond de la peinture. On se réjouit de visiter l’exposition de cet artiste qui possède à la fois un très beau métier de peintre et une capacité à poursuivre une idée plastique originale qu’il conduit jusqu’à induire chez les visiteurs une réflexion conceptuelle forte.

Ouvert du mardi au samedi de 11 à 19 heures
GALERIE RICHARD 74 RUE DE TURENNE / 3 IMPASSE SAINT-CLAUDE / 75003 PARISWWW.GALERIERICHARD.COM INFO@GALERIERICHARD.COM